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A ceux qui débarquent à Igoumenitsa…

La ville d’Igoumenitsa, lieu d’arrivée des ferries en provenance d’Italie, est le chef lieu du département de Thesprotia (province de l’Epire, Grèce). C’est essentiellement une ville de fonctionnaires et de commerçants. La mairie, la préfecture, le tribunal, la capitainerie portuaire, la police de ville, la police maritime, les douanes, les services fiscaux, etc., font vivre un petit quart de la ville. Le système clientéliste des précédents partis politiques a favorisé les doubles emplois au sein des familles. Cette classe de fonctionnaires, relativement nantis malgré les coupes budgétaires sur les salaires imposées par les mémorandums, peut encore dîner en ville, fréquenter des magasins chics, exhiber de puissantes voitures.

A ceux qui débarquent à Igoumenitsa…

Le touriste qui débarque du ferry et fait une halte à Igoumenitsa, est naturellement attiré par les lumières et l’animation du centre ville. Dans les rues piétonnes, les terrasses des restaurants, des bars, des rôtisseries sont pleines. La ville grouille d’enfants, la gaité, l’insouciance est visible chez les adultes. Où est donc cette crise dont les médias nous abreuvent, cette catastrophe humanitaire que décrit l’anthropologue Grigoriou dans son blog, la misère rampante du film de Youlountas “Ne vivons plus comme des esclaves” ? Vivons donc sereinement notre mois de congés, sans souci politique ni trouble de conscience. Si certains Grecs sont dans le besoin, au chômage ou sans couvertures sociales, c’est sans doute, comme le disent nos journalistes français et allemands, à cause de leur paresse, de leur “art de vivre légendaire”, de leur état de cigales… !

A ceux qui débarquent à Igoumenitsa…

Le touriste est reparti vers des régions plus touristiques que l’Epire et le voyageur quitte le centre ville, ses flonflons et ses mirages pour déambuler dans les quartiers dits “populaires”. Juste à côté des 20% des survivants qui ont étonné le touriste, le voyageur s’installe dans un petit café devant un verre d’ouzo et apprend que les 80% restants tirent le diable par la queue. Yannis n’est plus là, il est parti travailler en Allemagne (sans qualification et ne parlant ni allemand ni anglais, il doit laver la vaisselle au fond d’une taverne berlinoise). Dimitri qui tient une agence d’assurance a dû vendre son petit bateau de pêche qu’il bichonnait jadis avec tant de soin (un déchirement, mais il fallait bien payer les taxes professionnelles de plus en plus lourdes). Yorgos a fermé sa petite rôtisserie. Personne ne sait ce qu’il est devenu, mais depuis plus d’un an la pancarte “à vendre ou à louer” reste accrochée sur la vitrine, Vassilis a laissé ses champs d’orangers dont personne ne veut pour travailler en Belgique, Mme Brizoulas compte sur le centre médical gratuit pour soigner son asthme, Sotiris a déposé les plaques d'immatriculation de sa voiture à la préfecture faute de pouvoir payer la vignette et l'assurance…

Du quartier chic au quartier pauvre, il n'y a qu'une rue à monter
Du quartier chic au quartier pauvre, il n'y a qu'une rue à monter

Dans le café, le voyageur découvre une affiche annonçant une fête dans un village voisin. Ces fêtes votives sont de grands moments pour les Grecs. Les émigrés de l’intérieur ou de l’étranger choisissent cette période pour venir en vacances. Ce sont les grandes retrouvailles. Il arrive que l’on téléphone à un lointain cousin d’Australie qui n’a pas pu venir, en lui faisant écouter le morceau de clarinette qu’il préfère et que le musicien joue près du portable. Les Grecs sont très pudiques et dévoilent rarement leurs sentiments devant les étrangers (même s’ils sont voyageurs). Il faut prendre son temps pour entrer dans leur intimité. Cette année, la fête du village a été chaleureuse mais plus sobre. On ne voyait presque plus de bouteilles de whiskies ou de tsipouro sur les tables mais quelques canettes de bière, plus de mouton grillé mais des brochettes de porc. Un vieux m’a dit en aparté que l’essentiel est de se retrouver, de danser, de partager. Dans son enfance il a connu des fêtes où l’on se contentait d’un plat de lentilles et du mauvais vin local.

Le voyageur a profité de quelques rencontres pour un petit sondage personnel. Avec Tsipras et Varoufakis, c’est mieux ou c’est pire, demande-t-il ? Et avec une belle unanimité, la plupart répondent que la période de la dignité retrouvée commence à s’éteindre. Beaucoup reprochent au gouvernement de ne pas dire la vérité, de négocier dans une opacité digne des prédécesseurs. C’est l’attente du mois de juin qui approche avec la faillite probable de l’Etat, l’impossibilité de payer les fonctionnaires et les retraités, l’abandon des écoles, des hôpitaux, la sortie de l’euro qui fait encore très peur… L’attente se fait longue, et mis à part dans les quelques rues piétonnes et chics du centre, elle se fait angoissante...

Tag(s) : #Grèce