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L’art de l’enfumage par le burkini…

L’Histoire est pleine de belles démonstrations d’enfumage, qui de Jules César à Manuel Valls en passant par Hitler, ont réussi à faire avaler les pires couleuvres à des peuples entiers, les entraînant ensuite dans des comportements “que rigoureusement ma mère, m’a défendu de nommer ici…“.

Le flot d’articles, de prises de positions, de décisions législatives qui ont suivi les anecdotiques exhibitions de burkinis sur les plages de France, est caractéristique de cette technique de l’enfumage, au point que rares sont ceux qui ont nommé les auteurs de la manœuvre, les enjeux qui la sous-tendent, l’horizon qu’elle nous promet. Je salue à ce titre Jacques Sapir et Amar Bellal qui, sur leurs blogs respectifs, ont su élever le débat au niveau qu’il mérite (il serait bon aussi de relire Wassyla Tamzali).

Comme dans tout bon roman policier, l’assassin est généralement celui à qui le crime profite. Pour ménager le suspense, les bons auteurs multiplient les mobiles et brouillent ainsi les pistes jusqu’au dernier chapitre. Dans le cas qui nous occupe, j’entends dire que le FN sera le grand bénéficiaire de la furie anti-burkini. J’entends aussi la gauche en déroute accusée de ratisser dans les rangs traditionnalistes. J’ai même entendu dire que la classe politique dans son ensemble, droite et gauche confondues, nous jetaient cet os à ronger pour cacher le vide de leurs programmes à la veille des présidentielles…

Soyons sérieux, du moins aussi sérieux que les intégristes musulmans qui font preuve dans cette affaire d’une finesse tactique incomparable. Ils ont su jouer à merveille sur l’ambiguïté entre politique et religion, avec d’autant plus d’aisance que la distinction est pour eux superfétatoire, comme dans toute théocratie affichée. Les intégristes islamiques ont un projet politique bien déterminé et c’est la religion qui s’y inscrit plus que l’inverse. L’islam est relativement tolérant quant aux pratiques religieuses et permet toutes les déviances pourvu qu’elles ne soient pas publiques. En revanche, la vision politique qu’il défend est d’une implacable rigueur sociale. Ce qu’est, ce que pense, ce que fait le croyant importe peu, mais ce qu’il montre doit être irréprochable sous peine des pires sanctions.

Qu’une femme soit d’une perversité totale dans le huis clos familial, peu importe. Mais qu’elle montre en public la moindre mèche de cheveux, voilà qui est intolérable. Qu’un homme se laisse aller à quelques viols sur les enfants qui lui sont proches, soit. Mais s’il affiche dans la rue une tendance homosexuelle, il mérite la mort. Qu’une personne mette en doute, dans le secret de son cerveau, le fait religieux peut s’admettre. Mais qu’il se déclare publiquement athée, alors il commet un sacrilège, un blasphème, justifiant bien une décapitation…

Pendant des décennies, les musulmans de France ont été extrêmement tolérants, ne manifestant jamais leur foi dans la rue, laissant leurs femmes dévoilées, s’autorisant parfois à l’usage d’alcool, écoutant de la musique sans complexe, sortant en boite les week-ends… On parlait d’intégration, d’acceptation des valeurs républicaines, on retrouvait des personnes de culture musulmane dans tous les combats politiques, féministes, sociaux, artistiques…

Or cette vision pacifiée de la rencontre entre la tradition chrétienne et européenne avec la tradition musulmane et “arabe” se lézarde de toutes parts depuis quelques années. Les pierres d’achoppements se succèdent, de plus en plus fréquentes, de plus en plus violentes, de plus en plus médiatisées : la viande Hallal, le voile, la burka, le burkini, en passant par le jour de piscine pour femmes, le refus d’un médecin homme par des musulmanes hospitalisées ou l’exigence de chambres séparées, etc. Il suffit de lire rapidement les prescriptions de la charia pour imaginer les autres affrontements possibles ! L’Occident n’est pas en cause puisque le même phénomène se retrouve en Algérie, au Maroc, en Egypte…, qui ne sont pas des pays spécialement islamophobes. La situation économique et sociale que l’on invoque souvent n’est pas non plus une cause réelle puisque le phénomène de radicalisation islamique touche tous les milieux, y compris avec des “convertis” issus de la tradition chrétienne.

Il faut bien se résoudre à admettre que la vision politique des intégristes musulmans dénie toute valeur à ce que nous appelons République, Démocratie, égalité des sexes, droits de l’individu, laïcité, diversité culturelle, tolérance, etc. Et je ne parle pas ici de l’Islam ordinaire, celui que nous connaissions et apprécions dans les années 1980, je parle des intégristes, des fous de Dieu, de Daesh, de l’EI…

Il serait donc temps de poser le problème là où il est, c’est-à-dire dans le projet politique qui est visé. Nous n’avons rien à faire de textes mystiques, de comportements religieux, des exigences de la foi auxquelles nous devrions tous nous plier. Regardons ce qu’ils veulent instaurer mondialement et qu’ils déclinent sur quantités de chaines TV et de sites extrêmement clairs et bien faits. Nous avons trop longtemps considéré ces extrémistes comme des sauvages incultes, oubliant qu’ils avaient fait des études à Harvard ou Cambridge, qu’ils avaient appris les techniques de communication dans les meilleures classes de psychologie, de marketing, de publicité, qu’ils s’étaient rompus aux techniques de l’audiovisuel à Hollywood et dans la Silicon-Valley… Ils savent ce qu’il faut dire et montrer, ce qu’il faut proposer à la jeune fille de banlieue pour qu’elle se voile, au gamin paumé pour qu’il se lance dans le djihad, aux médias pour qu’ils parlent de tout sauf de politique, aux humanistes pour qu’ils se sentent coupables d’ostracisme, aux libertaires pour qu’ils se refusent à interdire, etc. Et pour l’instant, ils gagnent, partout, même devant le très sérieux Conseil d’État !

Tant que nous ne répondrons pas à la question que nous pose l’intégrisme musulman sur le terrain qui convient, celui de la politique, nous perdrons la bataille de l’enfumage, nous accepterons l’intolérable. Et pire, nous sacrifierons des milliers d’individus complètement dépassés par ce qui leur arrive, et croient défendre leur liberté de femme en se voilant, défendre leur Dieu et leurs frères en se laissant pousser la barbe et en priant ostensiblement cinq fois par jour, sans réaliser qu’ils promeuvent des valeurs politiques, parfois même contraires à leurs aspirations profondes…

Tag(s) : #Politique