
“L'odeur du buis, le son du glas,
Un temps de neige, un soir d'ivresse
M'attristent moins que la tristesse
Des moulins qui ne tournent pas !...”
(Gaston Couté)
Gaston Couté (1880-1911), poète libertaire pleurait déjà en son temps le “moulin qui s’arrête”. Rien ne change et les syndicats se mobilisent pour défendre les employés de Carrefour qui prévoit 2 400 licenciements en France. Ils se mobilisent pour les 5 000 emplois qui dépendent de la centrale de Fessenheim… Le raisonnement est logique. Le syndicat est une organisation dont la fonction est de défendre le travailleur. Un chômeur n’est plus un travailleur, il faut donc lutter contre les licenciements, quels qu’ils soient. Les supermarchés ont tué des millions d’emplois en éliminant le petit commerce ; la centrale de Fessenheim met en danger toute une région ; mais peu importe, l’essentiel c’est que le travailleur ait du travail.
Si l’on ne peut rester insensible au drame que représente pour la plupart la perte de leur emploi, il faudrait pourtant bien prendre en compte que rien ne justifie un travail qui met d’autres personnes en danger, qui pollue une planète déjà bien mal en point. Sinon, que dire au proxénète qui gagne sa vie en mettant une femme sur le marché, au petit dealer qui échappe à la misère en revendant sa drogue, à l’industriel qui néglige la sécurité des travailleurs pour ne pas en licencier une partie…
Les syndicats seraient-ils devenus aussi cyniques que les capitalistes ? C’est un pas que je ne franchirai pas, même si je pense qu’ils ont beaucoup perdu à devenir des “partenaires sociaux”. Pourtant, l’alternative qui se présente aux syndicats en pareils cas (Fessenheim ou Carrefour) n’est pas entre la lutte contre les licenciements ou rien. Elle pourrait être la lutte pour la possibilité de vivre correctement quand l’emploi disparaît, voire pour la fin du salariat. Est-il normal qu’au XXI° siècle, nous soyons tous impérativement obligés de travailler à n’importe quoi pour avoir le droit d’exister ? Est-il normal que nous soyons obligés de produire tant de choses inutiles pour sauvegarder un emploi ? Est-il normal d’accepter un tel gaspillage de nos productions uniquement pour que l’activité tourne et croisse perpétuellement ?
En outre, il est maintenant évident que le chômage de masse est la norme mondiale. Au temps de Marx, le problème était l’exploitation de l’homme. Aujourd’hui, le problème est le nombre croissant d’humains inexploitables, superflus. Où sont les syndicats dans le débat sur le temps de travail, sur le droit à l’existence avec ou sans travail, sur le système monétaire qui induit mécaniquement la concentration des entreprises et donc le chômage ? Le capitalisme a réussi le tour de force de dénaturer radicalement le syndicat en le confinant dans une tâche bien circonscrite, en divisant les luttes en secteurs spécialisés et étanches entre elles. La tactique a réussi dans l’industrie, pourquoi ne réussirait-elle pas dans les structures sociales ? La prochaine étape sera l’ubérisation de la lutte syndicale : “Devenez auto-syndicaliste, apprenez à défendre vos droits vous-mêmes…”
Oh, comme j’aimerais que les syndicats ne fassent pas comme les économistes atterrés qui s’échinent sur des questions philosophiques faute d’avoir une véritable alternative au pouvoir de l’argent. J’aimerais tant que les syndicats retrouvent leur fonction fondamentale d’éducateurs populaires et réfléchissent au monde réel qui nous mène à l’effondrement généralisé. Qui mieux qu’eux sont ancrés dans la réalité de l’argent et de la valeur, de la marchandise et du travail ? Qui mieux qu’eux sont à même d’imaginer très concrètement un monde sans l’angoisse de la survie, sans obligation d’en passer par le salariat, l’échange marchand, le profit financier ? On devrait leur réapprendre les chansons de Gaston Couté !