
Pourquoi ne croit-on jamais qu’une catastrophe peut arriver ?... Pourquoi est-on si démuni quand elle arrive ?... Pourquoi quand on est confronté à un danger immédiat, on a une chance sur deux de prendre la décision fatale ? Le psychanalyste Jacques Lacan à qui l’on demandait un jour ce qu’était pour lui le réel, a répondu : “Le réel, c’est quand on en prend plein la gueule !” Et personne n’aime en prendre plein la gueule. Tant que l’on peut, le plus simple est de tordre le réel pour l‘adapter à notre confort. C’est ce qu’ont fait les politiques grecs qui, depuis des années, savent les mille bonnes raisons pour que les forêts brûlent en été, pour que des fous provoquent des incendies, pour que la spéculation immobilière en fasse de juteuses affaires… Mais prévenir les incendies, doter les pompiers de réels moyens, construire en fonction des risques, cela représente beaucoup d’argent alors qu’on en manque. A quelques jours de distance, le premier ministre grec offre des “visas dorés” (un permis de séjour de cinq ans à tout investisseur étranger déposant 400.000 euros ou plus dans le pays) et exprime “sa douleur, sa détresse pour les vies humaines perdues”...
Mais dans toute histoire de catastrophe, les politiques ne sont pas les seuls en cause. Ils sont juste les plus voyants, les plus caricaturaux. Nos sociétés modernes, industrialisées, mondialisées, mais assurées contre tout, sont infantiles. Le déni de réalité, le refus de prendre en compte un risque avéré, nous touche tous. Quand par exemple des collapsologues nous annoncent que peut-être en 2020, mais à coup sûr avant 2030, notre système économique, politique, industriel, écologique va exploser, nous tordons cette réalité démontrée par des chiffres, des tableaux, des analyses transversales réalisées par d’éminents experts sur les domaines les plus variés. Nous faisons comme si de rien n’était. Enfants, nous disions “on serait cowboys, indiens ou princesses…” et l’étions pour de vrai. Adultes, on se dit qu’un nouveau carburant propre va remplacer le pétrole, qu’en économisant un peu sur le chauffage, la température moyenne de la planète ne dépassera pas les deux degrés. Pierre Moscovici, notre brillant futurologue européiste nous dit même qu’en 2060, la crise grecque sera résorbée. Non, Monsieur le Commissaire européen aux affaires économiques, vous tordez la réalité et préférez croire aux chimères, nul n’est en mesure de dire ce qui arrivera dans dix ans sinon que notre civilisation court à sa perte, et encore moins dans quarante ans.
Quand une poignée de visionnaires prédisent la fin du système monétaire, l’inéluctable fin de l’argent, et annoncent une société a-monétaire, personne ne les croient. Et pourtant, au sein même du FMI et de la BRI, deux organismes internationaux au cœur du système, certains parlent à mots couverts de la même chose. La crise à venir est imminente et elle sera cette fois mondiale, donc sans le recours possible à un pays riche ou à la communauté internationale. Ils ne parlent pas de 2060 eux, ils parlent de la prochaine décennie.
Quand nous nous écharpons, gens de pays riches, pour savoir s’il faut accueillir quelques milliers de migrants ou s’en protéger en les rejetant à la mer, qui envisage le problème que seront les millions de réfugiés climatiques quand l’océan sera plus haut d’un ou deux mètres ? Là aussi, tordons la réalité et imaginons des scénarii lointains, une montée de dix mètres en 2100, par exemple. Un adulte de 18 ans d’aujourd’hui sera centenaire à cette époque. Il peut entre-temps faire plein de choses intéressantes ! Pourquoi s’affolerait-il ?
L’histoire nous a pourtant montré que des choses aussi affreuses que réelles pouvaient avoir lieu sans que personne n’y croient. Quand quelques rescapés des camps de la mort ont réussi à rejoindre leur ghetto pour prévenir leurs compagnons, personne ne les a écoutés. “Les Allemands ont besoins de nous, ils ont mobilisé tous leurs hommes et ont besoin de bons ouvriers. Ils nous envoient dans des camps pour travailler. D’ailleurs, ils nous y emmènent en famille. Cette histoire de camp de la mort c’est de la propagande communiste…” De la même façon, il a fallu attendre le quasi effondrement de l’Union soviétique pour que certains cessent de croire au miracle économique du communisme, pour qu’ils admettent qu’il y ait eu “quelques excès” avec le goulag, le KGB…
Quand on nous a dit à l’époque de Maastricht que l’Europe c’était la paix, le plein emploi, la stabilité, la démocratie, on pouvait peut-être y croire. Mais aujourd’hui, quelles distorsions du réel faut-il accepter pour y croire encore ? Comment tant de gens, certainement sincères, tiennent-ils ce discours hors-sol, sinon en s’accrochant à la croyance qu’ils ont eu et veulent préserver malgré la ténacité des faits ?...
Toute catastrophe rend les gens stupides parce que nous refusons de nous y préparer. Et plus la catastrophe est grave, plus elle est impensable. Madame Christine Lagarde veut supprimer totalement le cash au profit du numérique pour ainsi pouvoir ponctionner 10 ou 20% de tous nos avoirs bancaires afin d’éponger une dette mondiale abyssale. Impossible, ce serait du vol ! Pablo Servigne nous dit que l’effondrement est pour 2030 au plus tard. Impossible, le monde n’est pas assez fou pour laisser faire ! Il faut se préparer à l’après argent comme on aurait dû se préparer à l’après pétrole disent les “désargentistes”. Impossible, les riches et les puissants ne l’accepteront jamais ! La lutte contre le climat avec une limitation à deux degré, est déjà perdue et nous irons, quoi que l’on fasse, au-delà. C’est de la propagande décliniste, un refoulé de passéistes !
Oui, mais si tous ces “oiseaux de mauvais augure” avaient raison, que ferez-vous quand les seules solutions restantes seront les guerres, les famines, les épidémies, quand vous serez confrontés à la fin de tous les services auxquels vous étiez habitués ? Serez-vous le héros sauvant la veuve et l’orphelin, le guerrier s’accaparant tout ce qu’il reste chez les autres, le Robinson qui saura survivre seul et démuni de tout ? Le père Noël n’existe pas, Monsieur Macron n’a pas été élu pour avoir une vision du monde, Rambo n’a existé qu’à Hollywood… Le réel, c’est quand on en prend plein la gueule !