Je sors de ma banque, dont je tairai le nom autant que celui de son conseiller financier. A propos d’un don que je veux effectuer à un parent proche dans l’embarras, le conseiller financier me suggère que faire un prêt serait nettement plus avantageux que de rogner sur mes petites économies. Si un prêt coûte de l’argent en intérêts, un bon placement peut rapporter plus gros me dit-il. Sitôt dit, sitôt fait, il me présente une simulation théorique à partir de l’état précis de mes finances que je vous résume sous forme de tableau :
Donc en empruntant de l’argent à la banque sans le dépenser autrement que pour rembourser les mensualités, je gagne 214,22€ en 4 ans, soit 4,7€ par mois. C’est de l’épargne “gagne petit” mais si j’emprunte 70 000€ sur deux ans, le rapport est nettement plus avantageux : 60€ par mois sans rien faire ! Ça laisse rêveur quand on pense que des capitaines d’industrie ont de quoi placer ainsi quelques millions… Toute proportion gardée, un financier habile qui emprunte 1 million à 1% et le place à 2% peut espérer une plus-value de 200 000€ dans l’année. Comment voulez-vous éviter que l’argent s’accumule, très légalement, entre des mains de plus en plus riches mais de moins en moins nombreuses ?
Tout remué par cette découverte qu’il n’y a pas de limites, ni basse ni haute, à la spéculation, j’avais oublié un détail et mon “conseiller financier” aussi. Ce rapport est intéressant si je laisse dormir l’argent emprunté sur mon compte. Mais moi, je veux donner cette somme d’argent à mon parent et je n’ai pas les moyens de laisser dormir ce don. Il y a urgence ! Mais dans ce cas, renchérit mon banquier, demandez à votre parent dans le besoin de vous rembourser au taux annuel de 1,5 % et vous aurez engrangé une plus-value égale…
La proposition se tient : abandonner mon statut d’honnête homme et mes utopies d’entraide, de don gratuit, de coopération, de solidarité pour la modique somme de 214 €. Et pourquoi ne pas envoyer l’huissier à ce proche parent s’il ne peut me rembourser, tant qu’on y est ? Mon conseiller a paru surpris, presque contrit que je n’applaudisse pas à ses propositions d’enrichissement… Dans mes moments de fièvre, je vois un monde sans banquiers, sans conseillers, sans argent, sans dettes et sans plus-value….