
En ces temps d’agitation sociale et de grand débat national, j’entends autour de moi des plaintes récurrentes sur ces jeunes qui ne sont pas sur les ronds-points, qui ne s’intéressent pas à la politique, qui sont accros à leur smartphone… Et les preuves pour confirmer le ressenti d’une désaffection de la jeunesse ne cessent de s’amonceler sur ma pauvre tête de défenseur de la classe infra-quadragénaire et de combattant contre l’essentialisation.
Les Jeunes ne sont qu’une catégorie d’âge pas plus homogène que les Vieux. En revanche, je sens s’accroître la fracture entre les jeunes et les vieux de façon dramatique. Mon blog me servant essentiellement à calmer mes humeurs juvéniles de retraité, je me suis posé pour lister cette fameuse désaffection.
Les Jeunes ne s’intéressent pas à la politique : c’est vrai qu’ils sont peu présents sur les ronds-points, minoritaires dans les syndicats, majoritaires dans les abstentionnistes… Mais est-ce bien la politique qui les emmerde, et quelle politique ? Les jeunes ont les neurones de la mémoire plus alertes que celles des vieux. Ils savent que le Non des Français au référendum de 2005 s’est conclu par un Oui, que le OXI des Grecs en 2015 s’est transformé en NÉ. Ils ont bien compris que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Ils savent que la finance propulse des “hommes providentiels” et étouffe des “militants rêveurs” pour le plus grand bonheur des actionnaires. Bref, ils ne veulent plus participer à cette mascarade. En revanche, ils se délectent des analyses d’Usul, d’Osons causer, et autres commentateurs de leur temps. Ils ne se battent plus guère pour le pouvoir d’achat mais volontiers pour la qualité de vie. Ils ne sont pas mondialistes mais volontiers zadistes ou municipalistes. Ils ne veulent plus mériter un gouvernement à leur écoute mais pensent mériter de ne plus avoir de gouvernement. Ils ne veulent pas l’augmentation des salaires mais un revenu universel, pas de supermarché mais des Amap, des Sels, des grafitérias…
Bien sûr tous ne sont pas militants (les vieux non plus d’ailleurs), mais tous sont sur une planète désormais à des années lumières de celle des vieux qui votent, qui revendiquent, qui se plaignent de n’être pas aussi riches que ceux qu’ils critiquent… Putain de Jeunes !
Les Jeunes ne pensent pas en l’avenir : Certes les vieux jadis rêvaient de leur avenir et y croyaient. Normal puisque que depuis longtemps les enfants devenaient plus grands, plus riches, plus instruits que leurs parents, et même vivaient plus vieux ! Aujourd’hui, les jeunes savent qu’ils risquent fort de ne pas avoir de retraite, alors, pourquoi cotiser. Ils savent que le plein emploi est un mythe que seuls les politiques peuvent promettre, alors, pourquoi ne pas faire ce qui leur plaît plutôt que ce qui rapporte peu. Hier, la technique promettait l’abondance et la sécurité, le bonheur et la liberté. Aujourd’hui, seule la pub tient encore ce discours. Les collapsologues nous annoncent un effondrement dans les années trente et personne n’est capable de dire qui y survivra. Plus d’argent, plus de travail, une santé détraquée par la chimie, les risques de guerres, de famines, de pandémies… voilà l’avenir des jeunes. Voudrait-on en plus qu’ils disent merci ? Putain de Jeunes !
Les jeunes sont individualistes : C’est ce que j’entends chez les vieux, les nostalgiques du bon vieux temps où l’on savait s’amuser, où personne ne laissait tomber un copain dans l’embarras, où l’on était poli, où l’on respectait les vieux au lieu de les mettre dans des Ehpad. Mais qui a inventé les Ehpad, la culture de la concurrence et du mérite ? Qui a éduqué ces jeunes quand ils étaient enfants, sinon les plaignants d’aujourd’hui ?
Tout au contraire, les jeunes sont bien plus solidaires que les vieux. Et c’est logique puisqu’ils vivent dans une plus grande précarité. On est solidaire quand, à tout moment, on peut avoir besoin de l’autre, pas quand on est en mesure de s’assurer contre tout, contre la maladie, l’accident, le vol, la vie, quand on a tout ce qu’il faut, même le superflu, sans jamais avoir recours au voisin. Putain de Jeunes !
Les jeunes sont scotchés à leur smartphone : Tiens donc ! Les vieux retraités aussi se sont acheté des tablettes et des IPhones. Eux aussi éprouvent le besoin de s’en servir de manière compulsive et veulent à tout moment savoir où se trouve le fils, la petite-fille, le conjoint. La seule différence, c’est que les jeunes, au moins, savent se servir de cet outil fabuleux qui nous aurait rendus tout aussi accros si on l’avait eu à quinze ans. Quand une innovation est utile, il n’est pas raisonnable de penser qu’elle ne va pas être envahissante, qu’il s’agisse du vélo, de la machine à coudre, à laver ou de l’automobile. Oui, mais les jeunes eux, s’en servent pour partager des conneries, me dit-on. C’est sûr que leurs parents s’instruisent beaucoup en regardant la télévision, ne sont jamais désinformés par leurs journaux et préfèrent tous un film d’art et essai plutôt qu’une série B policière ! D’abord, qui sont les vieux qui savent exactement à quoi les jeunes utilisent leurs smartphones, leur posent des questions, s’intéressent à leurs usages ? Putains de Jeunes
La liste des chapitres commençant par “les jeunes sont…” est trop longue. Je préfère arrêter là. Mais constatons toutefois que les jeunes ont globalement tendance à vivre sur une planète qui n’est plus la nôtre, en politique, dans le travail, les loisirs, la musique et les usages en tous genres. La société a évolué trop vite. Les jeunes ne sont pas ce qu’on dit qu’ils sont. Simplement, ils pensent selon des codes qui ne sont plus les nôtres, ils ne rêvent pas des mêmes choses, ils ne désirent plus ce qui nous a fait courir mais ont des objectifs dont on ne sait rien. Nous n’avons pas vu qu’une révolution anthropologique était à l’œuvre, sous nos yeux, par nos œuvres ou avec notre complicité, et nous débarquons de temps en temps dans leur monde tels les Visiteurs Jean Réno et Christian Clavier. Putain de Vieux !
« Qu'on ait vingt ans, qu'on soit grand-père
Quand on est con, on est con… »