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                Je n’ai jamais entendu dire que le vaccin de Pasteur ou celui de Koch aient posé des problèmes de distribution auprès des populations concernées. S’il y avait eu les mêmes enjeux commerciaux que l’on observe au sujet de l’épidémie Covid, quelques historiens en auraient parlé. Or, on trouve plusieurs écrits sur la rivalité d’égo entre Pasteur et Koch, mais rien sur la production et la distribution de leurs vaccins. Dans leur ouvrage, Annick Perrot et Maxime Schwartz nous racontent ces «deux travailleurs acharnés, au caractère parfois ombrageux (…). Ils s'affrontèrent pour la même croisade et sortirent victorieux, côte à côte, dans la lutte contre les maladies infectieuses».[1].

 

 

 

                La différence entre ces deux époques se caractérise par la loi sur les brevets de 1844 en France qui a établi le statut non brevetable des préparations pharmaceutiques et des remèdes, y compris ceux destinés à la médecine vétérinaire. Cette loi du 5 juillet 1844 protège le statut prioritaire du premier déposant, mais elle fait le distinguo entre l’innovation industrielle et la santé publique. Quand Louis Pasteur crée le premier laboratoire de production en novembre 1888, les fonds nécessaires sont récoltés par souscription (un crowdfunding avant l’heure).

                Louis   Pasteur   fut   aussi   un   savant   industrieux,   côtoyant   brasseurs   et sériciculteurs, industriels et banquiers. Là encore, les travaux ne manquent pas qui le campent en garant d’une sainte alliance entre la science et l’industrie où la première n’hésite pas à emprunter les voies tracées par la seconde pourvu que celle-ci obéisse finalement à celle-là.[2] Mais avec quel l’argent, quels brevets d’invention et quel capital ? Les Archives Nationales disposent d’un fonds assez conséquent sur le sujet mais qui a été expurgé de certaines sources, vraisemblablement pour protéger “l’historiographie du grand homme”.[3]

                Invité à la cour de Napoléon III en 1864, Pasteur écrit à l’aide de camp de l’Empereur, le général Favé : “Le savant qui se laisse aller à la tentation d’applications industrielles cesse par là même d’être l’homme de la science pure, complique sa vie et l’ordre habituel de ses pensées de préoccupations qui paralysent en lui tout esprit d’invention pour l’avenir.» Et un peu plus tard, au même Favé, il précise :  “Il y a des moments pénibles, c’est vrai, ceux où je songe à des dots que mes deux chères petites filles pourront bien ne jamais avoir, ceux où je pense que la mort pourrait leur laisser pour héritage l’aumône de la Société des Amis des Sciences; mais il y a aussi ceux que je ne peux croire égoïstes à l’égard de mes enfants, de la joie de découvrir et de grandir par des progrès nouveaux, et de servir mon pays sans arrière-pensée d’intérêt personnel.”

                On est très loin de la guerre économique des “big pharmas”, des manœuvres lobbyistes et des collusions entre États et intérêts privés. Autre temps, autres mœurs ! Les effets pervers de l’argent étaient à cette époque compensés par une éthique, une morale aujourd’hui désuète. Ce qui prouve que la seule solution pour échapper aux effets pervers de l’argent est de se passer de cet encombrant outil d’échange. Toute tentative de moralisation du monde de la finance est vouée à l’échec, à plus ou moins long terme. Pasteur et Koch n’étaient sans doute pas meilleurs que les  John Kapoor, Pascal Soriot, Olivier Laureau et autres PDG de grands groupes pharmaceutiques… Mais le cadre juridique et politique n’est plus le même.

                Si la crise du Covid aboutissait à une réflexion sur un changement de cadre permettant aux hommes de retrouver un peu d’éthique, à la santé de sortir du cadre marchand pour rester dans le cadre du commun, cela compenserait peut-être un peu les dégâts que l’on constate.  Sans l’impact du système marchand sur la recherche, la production de médicaments et leur distribution, dans le cadre par exemple d’une société de l’Accès, sans argent ni échanges, les chercheurs se seraient associés aussitôt dans une commune recherche du vaccin anti-covid au lieu d’être en concurrence. La production serait mutualisée entre les acteurs les plus performants et les vaccins rapidement accessibles à tous. Combien de temps encore refuserons-nous d'admettre que l’argent empêche bien plus qu’il ne permet… ?    

 

1. Pasteur et Koch, un duel de géants dans le monde des microbes”, Annick Perrot et Maxime Schwartz, éd. Odile Jacob, 2014

2. Guillaume Carnino, «Louis Pasteur. La science pure au service de l’industrie»,  Le Mouvement Social, n°248, 2014, p.9-26; ID., L’invention de la science. La nouvelle religion de l’âge industriel, Paris, Le Seuil, 2015

3. Voir à ce sujet https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01267638v5/document.

Tag(s) : #Innovations, #Santé