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              Mythe économique de gauche, la monnaie considérée comme un bien commun, serait non privatisable. On n’imagine pourtant mal comment un commun pourrait être possédé par un individu seul et qui aurait le droit d’en user à sa guise, de le faire fructifier à son seul profit ou d’en abuser au point de le détruire (usus, abusus, fructus). L’Institut Rousseau déclare en novembre 2021 que "la monnaie est un bien commun, qui doit être géré comme tel. Un premier jalon à poser en ce sens est la conversion des dettes publiques détenues par la BCE en investissements pour la reconstruction écologique : une telle mesure est juridiquement faisable et économiquement souhaitable." L’article est signé par Nicolas Dufrêne (haut fonctionnaire), Clémentine Felter (juriste en droit européen), Gaël Giraud (brillant économiste) qui ne sont pas tendres avec le système capitaliste, peu enclins à se laisser entraîner par la doxa politique et idéologique, visiblement anticapitalistes et qui tentent pourtant, par cette déclaration oxymorique, de préserver la monnaie en l’habillant de vertu républicaine.

       Certes, il s’agit de l’argent créé ex nihilo et détenu par la BCE dont on peut imaginer qu’il serve le bien commun, et pas le porte-monnaie du citoyen Lambda. Il y aurait donc deux types de monnaie, l’une vertueuse dans le porte-monnaie commun de la BCE et l’autre vénale dans les porte-monnaies des particuliers. Ces deux monnaies auraient la même dénomination (l’euro), les mêmes supports (papier, métal, écritures...), mais seraient cloisonnées dans des secteurs étanches. En effet, si la monnaie de la case commun peut passer sans difficulté dans la case vénale, il ne faudra pas beaucoup de temps pour que la première se vide au profit de la seconde et que la belle idée d’une monnaie bien commun reste à l’état d’idée, d’idéal.

       Un terrain en tant que bien immobilier, peut être contractuellement désigné comme relevant de la propriété privée, du droit d’usage individuel ou du commun, pas une monnaie qui, par définition, ne peut être qu’un bien meuble, que l’on peut mettre dans sa poche, jeter par les fenêtres et même brûler en public comme le fit Serge Gainsbourg. Au fait, l’affaire Gainsbourg fit beaucoup de bruit. C’était le 11 mai 1984, en direct sur un plateau de TF1, où il se plaignait du racket des impôts (74%). Il brûla un billet de 500 francs pour montrer ce qui lui restait du billet après le prélèvement de l’impôt. "C’est illégal, je sais, si je vais en taule, je serais au moins au régime, c’est mon pognon, j’en n’ai rien à cirer ". Quand le présentateur lui fit remarquer que cela pouvait choquer des pauvres, Gainsbourg répondit que "ce billet, c’est pas pour les pauvres, c’est pour le nucléaire, et tout le reste.."

       Tiens donc ! Ce billet, propriété de Gainsbourg ou propriété de l’État ? Bien privé ou bien public ? L’argent est-il la propriété de celui qui l’a en poche ou n’en a-t-on que la propriété d’usage (l’usus sans l’abusus) ? Et le fructus, dont tous les actionnaires, boursicoteurs et autres traders ne se privent pas, n’est-ce pas un détournement par intérêt privé de ce qui aurait pu sauver l’existence d’autres humains, celle des pauvres dont Gainsbourg fait mine de n’en avoir rien à cirer ? Le provocateur professionnel ne s’y est pas trompé en préparant son happening télévisé. L’usage d’un simple billet de banque demande réflexion, ce qui ne semble pas être le cas, pas même chez les intellectuels, les économistes, les hauts fonctionnaires. Un billet de banque est comme une rue de son quartier que l’on connaît par cœur mais dont on ne sait plus le nom. Seul l’étranger qui y arrive plan en main a besoin de le connaître. L’habitant du quartier est généralement incapable de dire à l’étranger où se trouve la "rue Rousseau", pas même d’avoir une idée des autres rues qu’elle croise. Par la force de l’habitude, nous sommes nuls en économie, même dans les quartiers les plus économiques !

       Mais revenons à la monnaie bien commun. Demain la BCE, brusquement convertie au keynésianisme, décide de convertir les dettes publiques qu’elle détient en investissements pour la reconstruction écologique. Imaginons une petite fiction : Je crée pour l’occasion une entreprise écran qui va présenter à la BCE un fabuleux projet de lutte contre le réchauffement. J’en ai les moyens avec tout le carbone que mes usines dispersent dans l’atmosphère et les profits que j’en ai tiré. La BCE enthousiasmée par cette opportunité de se débarrasser d’une patate chaude dont elle ne sait que faire va me donner quelques millions, voire milliards, si mon projet est sur papier glacé et cautionné par un climatologue de renom. L’argent reçu va être dûment dépensé dans d’autres entreprises, de préférence étrangères, avec les inévitables pots de vins aux gouvernements concernés, ce qui va m’autoriser à ouvrir de nouveaux marchés dans ces pays. Pour savoir où sera passé l’argent dans dix ans, il faudra une armée de journalistes d’investigation qui devront dépenser beaucoup d’argent en frais de déplacements et temps de travail et qui auront un mal de chien à publier leurs résultats dans les journaux qui pour la plupart appartiennent à mes amis. Si l’embrouille arrive à être par trop mise à jour et que la justice s’en mêle, il restera un bon procès bâillon pour diffamation susceptible de durer dix ans et d’user l’énergie et la bourse des journalistes. L’important est que ce bel argent ne se perde pas dans des travaux écologiques non rentables au lieu de réaliser de splendides profits...

       On peut rêver d’une société dotée d’un contrat social à haute valeur humanitaire, uniquement centré sur la priorité donnée aux plus pauvres, mais pour l’instant nous sommes dans un système néolibéral. La seule option est d’en sortir, faute de quoi, toute proposition généreuse, sociale, écologiste est vouée à l’échec. Si l’on ne veut pas imaginer une société postmonétaire (sans argent ni échange marchand mais avec accès libre aux biens et services) il faudra, a minima, imaginer une société monétaire sortie du capitalisme, pas un altercapitalisme, aller donc encore plus loin que les plus radicaux des économistes hétérodoxes dits atterrés....