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Un remake de "Z"...

Dans la nuit du 17 au 18 septembre, Pavlos Fyssas, musicien hip-hop est assassiné en pleine rue, en sortant d’un match de football, par un membre de l’organisation d’extrême droite l’Aube Dorée. C’est un assassinat visiblement prémédité, exécuté avec un sang froid et une précision qui exclut toute thèse de conflit personnel, de hooliganisme ou d’acte de démence.

A bien des égards, ce tragique événement fait penser à un mauvais remake du film Z et de l’affaire Lambrakis :

- Un militant de gauche, bien inséré dans les classes populaires, pourfendeur du fascisme dans ses chansons, contre pouvoir puissant à la récupération des laissés pour compte de la crise grecque.

- Une classe politique qui reprend les thèses d’extrême droite dans nombre de déclarations, leur donnant ainsi une légitimité. On peut aussi s’étonner que le meurtre arrive au si bon moment pour le gouvernement, quand les manifestations des fonctionnaires licenciés par milliers prenaient de l’ampleur et risquaient de durer. L’événement les a fait passer au second plan.

- Une police qui couvre depuis longtemps les exactions de l’Aube Dorée, qui, présente ce soir là, “attend des renforts” et n’agit pas (si ce n’est une jeune femme policière qui intervient seule et arrête l’assassin). Dès le lendemain de l’assassinat les manifestations antifascistes massives ont été violemment réprimées par la police, avec l’aide parfois de membres d’Aube dorée.

- Des médias qui banalisent les agressions, qui donnent largement la parole aux tenants du fascisme, qui depuis l’assassinat, passent en boucle des images de l’organisation, à mi-chemin entre la fascination et la réprobation.

Un remake de "Z"...

L’Aube Dorée a publiquement nié qu’elle ait commandité le crime, a récusé l’appartenance de l’assassin à l’organisation. Mais la vérité ne peut plus être étouffée. Des photos et des vidéos sortent des tiroirs montrant l’assassin dans de multiples manifestations, parfois aux côtés d’un député aubedorien.

Il est clair maintenant que cet assassinat n’est qu’un épisode d’une stratégie bien établie et qui n’aurait jamais pu être mise en œuvre sans le support direct et indirect de l’Etat, de la police et des médias.

Il est clair que Plavlos Fyssas était une cible choisie depuis longtemps. Ce jeune homme séduisant de 34 ans, est issu de la classe ouvrière, travaillant occasionnellement comme ouvrier métallurgiste sur les chantiers navals, emploi qu’avait occupé son père pendant toute sa vie. Comme lui, Pavlos était membre du syndicat des ouvriers métallurgistes, un syndicat combatif de classe, et il a passé sa vie à Keratsini, un bastion ouvrier emblématique de la ceinture industrielle du Pirée. Pavlos était aussi une figure familière dans la communauté locale et au-delà. Il est devenu une cible pour les néonazis parce qu’il était l’une des personnes dont la présence sur le terrain, dans ces quartiers populaires dévastés par la crise, est un obstacle permanent pour l’agitation et le recrutement fascistes.

La question qui se pose maintenant est celle de la suite qui sera donnée à l’assassinat de Pavlos Fyssas. La stratégie de l’Etat, bien relayée par les médias, consiste à renvoyer dos à dos violence d’extrême droite et violence d’extrême gauche. En voyant le déchainement d’images violentes diffusées par la chaîne télé Méga, pourtant proche du PASOK, chaque soir depuis une semaine, je crains fort que ce qu’il en ressorte soit l’idée que les nazis ne sont pas pire que la gauche radicale et que la violence nazie ne constitue pas une plus grande menace que la violence supposée des manifestations populaires ! Le lendemain même de l’assassinat de Pavlos, Chryssanthos Lazarides, un collaborateur proche du Premier ministre, a déclaré sur la chaine Skai que c’est Syriza avec son discours extrémiste qui a favorisé cette montée du fascisme.

Comme dans le film Z, il est à craindre que la chaîne État-Police- Parti d’extrême droite-Hommes de mains ne soit jamais établie et que seule la main tenant le poignard soit condamnée (certainement à une peine légère en vertu même du flou laissé sur les commanditaires).

Comme dans le film Z, il est à craindre que les menaces clairement exprimées envers des militants de gauche, des antifascistes, voire des politiques jugés trop laxistes, crée le climat idéal pour la radicalisation bipolaire des positions, c’est-à-dire pour la guerre civile, larvée ou pas.

La chaine Alpha a interviewé cette semaine un militant de l’Aube Dorée qui fait des déclarations étonnantes pour ne pas dire effrayantes :

« Il (l’assassin) était payé pour faire ce travail, pour être l’homme de main, pour être au-devant. »

« Il y en avait beaucoup qui voulaient faire partie de la classe des mercenaires. Chaque section locale possède entre 1 et 10 mercenaires, qui prennent en charge le sale boulot ».

« …La police attendait dans le coin. Elle ne s’est pas approchée. Cinq policiers ne s’approchent jamais quand il y a une foule de 30 personnes. Et ça, l’Aube Dorée le sait. »

« … Ils disent (les flics) qu’avec ce meurtre, l’Aube Dorée va augmenter. Ils étaient tous contents de cet assassinat, parce qu’ils ont de la haine à l’intérieur. Ils vont traquer les gauchistes. Il va y avoir d’autres meurtres. »

« Les réunions des “grands” sont comme les réunions des francs maçons. Des réunions secrètes. Parmi eux il y a des policiers en activité, membres de l’Aube Dorée. Les sections locales et les « grands » ont le soutien de la police. C’est pour ça que dans les descentes de police, rien n’est trouvé de com­pro­met­tant. Ils sont au courant. Ils savent ce qu’il va arriver avant que ça n’arrive. L’Aube Dorée est couverte par la police. Grâce à la police, ils trouvent tout. Le parti a accès aux déclarations des témoins. Il a accès à tout. Et dans l’armée, et dans la police. »

Ces propos se passent de commentaire. Le problème des luttes antifascistes, c’est qu’elles ne font pas encore, ou pas toujours, le lien entre ce parti d’extrême droite et les autres partis traditionnels qui ont permis son ascension, y compris au sein du gouvernement, entre cette violence promise et celle tout aussi meurtrière des exigences européennes, des mémorandums, de l’extrême appauvrissement du pays.

Il est bon pour conclure de donner la parole aux parents de Pavlos. Ils ont crié face aux médias : Laissez-nous enfin parler et cessez de refaire l'image de notre fils à votre manière, c’est à dire comme cela vous arrange. Il suffit d'écouter ses chansons pour comprendre. Tout y est, sa dignité, son intégrité, ses luttes. Il faut toutefois ajouter cette dernière chose: des témoins nous ont rapporté que les policiers présents n’ont pas voulu intervenir à temps, bien qu’en nombre suffisant. Ils étaient une douzaine environ. Là également, il faut enquêter... ” (Reportage Real-FM, 20 septembre).

Pendant ce temps-là, l’Europe observe de loin un pays en son sein se précipiter dans le chaos politique.

Nikos Smyrnaios

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