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       Le conflit Israélo-palestinien suscite des débats qui font penser à des manœuvres de "culture de guerre" propres à nous préparer à une extension internationale du dit conflit. Et la méthode de toute culture de guerre est de jouer sur le sens des mots pour fracturer caricaturalement la société entre bons et méchants, pour simplifier à l'extrême des positions binaires. Quiconque se sent solidaire avec les palestiniens est antisémite, quiconque soutient Israël  fait preuve  d'islamophobie. Ces deux qualificatifs stupides ne sont jamais définis clairement, ce qui nous empêche de penser. Les médias les assènent aux uns et aux autres, au point qu'il devient légitime de se demander si l'intention n'est pas d'importer ce terrible conflit hors de cette région déchirée depuis 1947.

            Être antisémite, c'est être contre les Sémites. Les Sémites sont les descendants de Sem, fils de Noé, un personnage cité dans la Genèse, le premier livre de la Bible. Noé était le neuvième descendant d'Adam et Ève. C'est seulement à la neuvième génération après Sem que naît le prophète Abraham considéré comme le fondateur des trois religions monothéistes, le judaïsme, le christianisme et l'islam. Selon cette antique mythologie, les Palestiniens autant que les Israéliens sont des descendants de Sem. Ils sont frères et ne sont séparés que par un vieux conflit relaté par la Genèse.

            Selon la Genèse, Noé en état d'ivresse, s'est un jour dénudé dans sa tente devant ses trois fils Cham, Sem et Japhet.  Cham lui seul a vu la nudité du père alors que les deux autres ont couvert Noé, en détournant le regard. Noé en colère a demandé à Dieu de maudire la descendance de Cham et de la condamner à servir les descendants de Sem et Japhet. Les Israéliens seraient issus de Sem, les Arabes de Cham!   Aussi étrange que cela puisse paraître, ce mythe a cristallisé le sentiment de supériorité des Juifs élus de Dieu et la haine des "Goys" (non-juifs) vis-à-vis des Juifs, du temps du déluge aux temps présents.

            Le terme sémite a été inventé au 19° siècle par les linguistes pour définir les langues et les locuteurs des langues sémitiques, lesquels se situaient sur toute la région, du Liban actuel à l'Égypte. Les Arabes autant que les Juifs sont des sémites.  Je me souviens d'un guide égyptien qui, avec humour, m'expliqua que "tous les Cairotes sont antisémites et que tous les Sémites sont anti-Caire!". J'en ai conclu que les antisémites, étaient tout simplement des racistes, détestant sans raison tous ceux qui leur sont autres…

            Que cette théorie absurde des linguistes ait renforcé le mythe issu de la Genèse relativise bien l'intérêt du terme. Que ce terme flou soit aussi tenace prouve que l'intention politico-économique, encore plus que l'intention religieuse, est cause des massacres auxquels nous assistons impuissants. Nous sommes sommés de choisir entre le droit des Palestiniens ou des Israéliens à avoir un territoire  unifié, libre et autonome. Nous sommes sommés de nommer terroriste ou combattant celui qui se bat pour avoir une nation digne de ce nom. Nous sommes sommés de prioriser les morts et blessés d'un côté ou de l'autre. Une fois le conflit importé, nous sommes sommés de choisir le droit d'Israël et le droit de la Palestine, sous peine d'être antisémites ou islamophobes.

            En attendant que les marchands d'armes soient désarmés, que les politiciens soient mis au chômage, que les intérêts financiers tombent en obsolescence, je ne choisirai pas entre la peste et le choléra, entre la barbarie islamique et l'impérialisme des colons juifs, entre Cham et ses frères, surtout au moment où le risque majeur n'est pas à Gaza ou à Jérusalem, mais dans le risque d'effondrement systémique de toute la planète. Un peu de bon sens serait le bien venu!....

Illustration: Les frères Sem, Cham et Japhet, selon James Tissot (peintre français, 1904)