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Les Déconnomistes à Aix-en-Provence.

La deuxième rencontre des “Déconnomistes ” à Aix-en-Provence, les 4, 5 et 6 juillet, était organisée en réaction au rassemblement du “Cercle des Économistes”. Le but annoncé était de déconstruire la pensée unique, de bouleverser les idées préconçues, de donner une tribune à la pensée économique foisonnante, de proposer des alternatives.

La place laissée aux économistes professionnels a été faible en regard des journalistes (majoritaires parmi les intervenants), des environnementalistes, des agronomes et autres sociologues… On peut se demander si c’est de propos délibéré, l’économie n’étant pas une science exacte, ou dû aux hasards du calendrier qui nous a privé d’économistes patentés et atterrés. Plusieurs conférences étant proposées par plage horaire, nous n’avons pu en entendre que cinq :

1°Alain Persat (sociologue), la monnaie, mesure ou oppression ? Il nous a proposé une excellente analyse de la monnaie, en partant du constat que la monnaie impacte tous les aspects de la vie personnelle et sociale, au point que nous oublions de la penser. A défaut d’une réflexion de fond sur le sujet, nos sociétés ont suivi une logique monétaire au lieu d’imposer une logique à la monnaie.

Quelques idées en vrac : La monnaie nous oblige à une docilité parfaite face au système. Nous luttons sans cesse contre l’inflation considérée comme le mal absolu alors qu’elle appauvrit les riches en baissant la valeur de leurs coffres, et réduit les dettes des pauvres. La monnaie implique des pratiques mafieuses (le système bancaire est exactement le même que celui du racket). Le système ne repose sur aucune autre réalité que la confiance. Les inégalités sociales ne peuvent que s’accroître. La monnaie a depuis longtemps perdu sa qualité de mesure des échanges pour devenir une marchandise comme les autres. Seuls 2% de la circulation monétaire correspond à une économie réelle.

Perspectives : Nous pourrions établir une monnaie d’échange fondée sur le temps de travail individuel ou sur le temps de travail collectif. Nous pourrions introduire d’autres critères de valeur dans la production de richesses (en prenant en compte l’environnement, le besoin réel…). Nous pourrions limiter la publicité à sa seule fonction d’information (la pub donnant à des biens une valeur qu’elle n’aurait pas sans elle). L’étalon d’une monnaie serait alors l’ensemble des besoins et des moyens de production. C’est le seul moyen de moraliser la monnaie, de la contraindre à rester l’outil qu’elle devrait être, de retrouver un équilibre des échanges et non le profit.

Conclusion : Persat propose le Revenu Universel, le prélèvement sur toutes les productions, les monnaies locales, etc.

A la question : « Êtes-vous au courant que l’idée d’une suppression de monnaie est envisageable ? Avez-vous étudié la question ?... » Réponse embarrassée et visant à éluder le sujet par une autre question bizarre : « Combien y a-t-il de voleurs dans cette salle...? Supprimer la monnaie c’est instituer le don, c'est-à-dire la loi du plus fort ou du plus malin… ». Dans la salle, une auditrice répond qu’elle a tenté toutes les alternatives classiques, des SEL à la monnaie locale, et qu’en fin de compte, rien n’est satisfaisant ni efficace. Alors pourquoi pas la suppression pure et simple de la monnaie ?

2° Aurélien Boutaud, environnementaliste, La fin de la croissance. « Il vaut mieux pomper même s’il ne se passe rien que risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant plus. » (Phrase mise en exergue du Powerpoint et tirée des Shaddocks). Boutaud montre les limites de fonctionnement du système, dans de multiples domaines, le tout en chiffres :

- Biodiversité

- Changement climatique

- Cycle biologique de l’azote

- Acidification des océans

- Érosion de la couche d’ozone

- Pollutions chimiques

- Pollutions atmosphériques

- Changement d’affectation des sols

La seule solution proposée par le libéralisme face à ces impasses, c’est la croissance (qui est cause du déficit de biocapacité) et les nouvelles technologies (qui toutes vont dans le même sens d’exploitation de la planète). Or la croissance implique la surconsommation, les productions les plus toxiques sont généralement les plus rentables, la rentabilité implique une réduction du nombre d’emplois disponibles. Il est donc nécessaire de créer une "économie écologique".

Question : « Si j’étais capitaliste, je ne serais pas inquiété par cette conférence. Si nécessaire, on peut produire mieux et même moins, l’essentiel étant d’en faire plus de profit. Si j’étais capitaliste, je donnerais le revenu universel qui me garantirait un bon retour sur investissement en dopant la consommation. Le problème n’est-il donc pas d’interdire le profit, de le pénaliser au nom du bien commun ? Le profit empêchant la technique d’évoluer vers plus d’écologie, empêchant la répartition équitable des biens, rien de sérieux ne peut se faire sans abolition du profit. » Réponse là aussi embarrassée : « Je ne suis pas économiste mais environnementaliste… »

3° Michel Gairaud (Le Ravi), Serge Halimi (Le Diplo), François Ruffin (Fakkir), Daniel Mermet (Là bas si j’y suis), Hervé Kempf (Reporterre) : Crise de la presse et révolution numérique. Il ressort de cette conférence que la presse est de plus en plus centralisée entre les mains d’une petite oligarchie, que les frais augmentent autant que les revenus baissent, que la presse alternative se fatigue (la qualité exige beaucoup, des lecteurs comme des rédacteurs, et rapporte peu). Mermet signale qu’au contraire de la presse, la radio se porte plutôt bien, ce qui incite le pouvoir à en rendre la direction obscure, à favoriser le divertissement, à précariser les employés. Il regrette que tout y soit jugé à travers l’outil médiamétrique, lequel est à l’image de l’outil monétaire (quantitatif et non qualitatif). Halimi insiste sur le poids de la publicité qui permet la publication de journaux pseudo-gratuits. Mais il fait remarquer que les publicistes s’intéressent de moins en moins à la presse écrite, Internet étant pour eux plus rentable.

Dans le débat, il a beaucoup été question de la gratuité (y compris sur Internet) qui tue ceux qui tente de proposer des contenus de valeur. Tous réclament une campagne incitant les usagers à payer ce qu’ils trouvent sur Internet. Aucun, bien entendu, ne s'attaque de front au problème de fond, les profits, l'argent.

4°) François Ruffin, remettre l’histoire en marche. Pour Ruffin, l’histoire s’est arrêtée le 23 mars 1983 quand Lionel Jospin nous fait passer au “réalisme économique”. Remettre l’histoire en marche, c’est faire les choses sans attendre les autres (contrairement au préjugé mondialiste que l’on ne peut rien faire si tout le monde ne change pas en même temps). Il dénonce l’absence de discours idéologique au profit du discours économique et social, absence qui ouvre un grand boulevard au FN.

Je suis intervenu pour parler de la nécessité de fonder une utopie moderne, de fixer un cap qui nous permette d’aller dans le même sens au lieu de faire du cabotage individuel et local. Mais le temps de parole réduit à une à deux minutes par intervenant, il est difficile de se faire comprendre. Ruffin a toutefois accepté de prendre mes deux livres (St Martin et le Porte monnaie) et m’a promis de les lire.

5°) Patrice Brasseur, Psychosophe : Crise de croissance, crise de conscience. Il nous présente une lecture du monde fondée sur l’accession, tant individuelle que sociale, à trois niveaux de conscience : le premier où l’homme est dépendant, le deuxième où l’homme est hédoniste et individualiste, le troisième où l’homme libre s’est intégré dans la communauté humaine. Cette grille de lecture, sommairement résumée, est en fait extrêmement intéressante car elle permet de donner un sens à l’organisation sociale (de la politique à la finance, en passant par les loisirs…). En revanche, Brasseur aboutit à des conclusions contestables : Rien ne sert de s’affoler ou d’espérer une prochaine révolution, tant que la majorité des individus n’aura pas atteint le troisième niveau de conscience, rien n’arrivera. Et, cerise sur le gâteau, il nous explique que les individus sont tous issus de quelques milliers d’âmes qui se réincarnent elles mêmes quelques milliers de fois jusqu’à atteindre à la conscience suprême. Flop ! Dommage, car l’analyse était juste, le constat plaisant et pertinent, le discours revigorant…

Les Déconnomistes à Aix-en-Provence.

En conclusion, cette sympathique assemblée illustre fort bien la situation dans laquelle nous nous trouvons : désillusion, impuissance, refuge dans les alternatives. Ruffin a tout à fait raison quand il démonte le discours du Front de Gauche qui, privé de souffle, d’esprit et de programme, reste confiné aux marges de la vie politique. Aldous Huxley avait raison en 1939 quand il écrivait : « Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes. L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées.

Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif. Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des informations et des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser.

On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté… »

Et malheureusement, syndrome de la grenouille oblige, la crise économique ne fait pas avancer les luttes, bien au contraire. Le journal grec EFSYN a publié récemment un tableau comparatif des chiffres de l’ΕΛΣΤΑΤ (Institut national des statistiques grecques). Il est éloquent et l'on pourrait regretter que le laboratoire grec n'ait pas été au centre du débat des déconnomistes.

Les Déconnomistes à Aix-en-Provence.

Tout se passe comme si le néolibéralisme n'avait pas remplacé le capitalisme à la Henry Ford, comme si leurs armes étaient toujours les mêmes. Nous les combattons avec nos vieux syndicats, nos vieux partis, nos bonnes vieilles pratiques militantes. Des Ulhans contre les chars d'assaut...!

Tag(s) : #Economie