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Schwab et Malleret

             Nous sommes plus de sept milliards, embarqués sur le même bateau, nous n’avons pas d’autre choix que de le soigner ou de sombrer, nous disent Klaus Schwab et Thierry Malleret, les deux auteurs du "Great Reset"1. La pandémie de la Covid a mis en exergue les limites du système. Le Monde change trop vite, dangereusement, et la solution ne peut se concevoir qu’à l’échelle globale et mondiale. Cet étonnant essai nous a été présenté comme une caricature du mondialisme, comme une projection vers un monde dystopique dirigé par une minuscule classe oligarchique, le reste de l’humanité étant réduite en esclavage par la technologie numérique et le transhumanisme. Une manne pour les complotistes de tous bords, une caricature du capitalisme pour ceux qui se réclament encore de la gauche, une coquille vide susceptible d’être remplie par le pire et le meilleur pour les autres.

     Une lecture attentive de ce texte montre que le propos est pour le moins inhabituel venant de deux personnages dirigeants le Forum Économique Mondial de Davos. Une lecture tout aussi étrange que celle de "Revolution Required: The ticking time bombs of the G7 model" 2 de Hervé Dannoun et Peter Dittus, deux ex-cadres de la BRI. Ces deux ouvrages viennent de personnes issues du cœur du système néolibéral, qui ne sont a priori ni "révolutionnaires" ni "collapsologues". Pourtant, ils nous annoncent un probable effondrement du système et proposent des remises en causes radicales. La question est donc de savoir s’ils sont sincèrement convaincus qu’il faut changer de modèle ou s’ils cherchent à nous enfumer.

              À les lire, Schwab et Malleret seraient décroissants : "il sera beaucoup plus difficile de prendre part à l'escalade de la croissance économique..." Ils seraient socialistes, en recherche d’égalité de richesse et d’inclusion du plus grand nombre : "l’activité économique future sera à un niveau correspondant à la satisfaction de nos besoins matériels" et plus loin, réclamant : "...un monde moins clivant, moins polluant, moins destructeur, plus inclu­sif, plus équitable et plus juste que celui dans lequel nous vivi­ons à l’ère pré-pandémique". Ils seraient anticapitalistes : "Dans un avenir un peu plus lointain (de quelques mois à quelques années), deux catégories de personnes seront confrontées à une situation de l'emploi particulièrement sombre : les jeunes qui entrent pour la première fois sur un marché du travail dévasté par la pandémie et les travailleurs susceptibles d'être remplacés par des robots". Ils seraient humanistes : "Sauver des vies sera la seule façon de sauver les moyens de subsistance". Ils préconisent donc de "procéder au type de changements institutionnels et de choix politiques qui placeront les économies sur une nouvelle voie, vers un avenir plus juste et plus vert..." Et comme ces deux auteurs s’adressent essentiellement aux habitués de Davos, aux dirigeants mondiaux, ils leur suggèrent "de mettre davantage l'accent et la priorité sur le bien-être de tous les citoyens et de la planète. La dépendance excessive des décideurs politiques à l'égard du PIB comme indicateur de la prospérité économique a conduit à l'épuisement actuel des ressources naturelles et sociales..." Voilà un discours que tiennent généralement les économistes atterrés ou les écologistes !

            Pour faire plus vrai, les deux auteurs en appellent à quelques exemples tels que celui du Premier Ministre néo-zélandais qui en décidant "de consacrer des fonds aux questions sociales, telles que la santé mentale, la pauvreté des enfants et les violences familiales, a fait du bien-être un objectif explicite des politiques publiques". Plus fort encore, le Great Reset est un appel à soigner les systèmes éducatifs : "L'éducation est également un domaine de création massive d'emplois, en particulier si l'on prend toutes ses sous-divisions en compte : l'enseignement primaire et secondaire, l'enseignement et la formation technique et professionnelle, l'université et la formation des adultes". Il en va de même pour les systèmes de santé qui "nécessitent des investissements beaucoup plus importants, tant en termes d'infrastructures et d'innovation que de capital humain".

             En somme, nos deux "révolutionnaires" réclament aux puissants de la terre de changer leur fusil d’épaule, de se lancer dans des "programmes sans précédent pour une situation sans précédent", dans des mesures "qui auraient semblé inconcevables avant la pandémie mais pourraient bien devenir la norme dans le monde entier." Ils osent même rappeler que "l'impact inflationniste de l'« helicopter money » n'est pas lié au fait que le déficit soit financé ou non, mais est directement proportionnel à la somme d'argent en jeu." C’est une claire invitation à user du "quantitative easing for people", certes avec une raisonnable modération, en somme, tout le contraire de ce que le FMI et l’Europe ont fait subir aux Grecs depuis dix ans ! A croire que le Forum Économique Mondial a été infiltré par Bernard Friot, Frédéric Lordon, Jean-Luc Mélenchon et consort. Et quand ils ajoutent que "ce sont les individus dont la société a le plus besoin que nous valorisons le moins sur le plan économique", on croit entendre François Ruffin.

                  Un passage étonnant concerne la démocratie, la souveraineté nationale et la mondialisation, un trilemme qu’ils déclarent indissociable : "La démocratie et la souveraineté nationale ne sont compatibles que si la mondialisation est contenue. En revanche, si l'État-nation et la mondialisation prospèrent tous deux, la démocratie devient intenable. Enfin, si la démocratie et la mondialisation se développent toutes deux, il n'y a plus de place pour l'État-nation. Par conséquent, on ne peut choisir que deux des trois - c'est l'essence même du trilemme." Et c’est sans doute là que les choses se gâtent. En effet, nous n’aurions d’autre choix que de sacrifier la mondialisation (le bateau commun), ou la démocratie (le droit des peuples à choisir leur destin, la liberté), ou l’État-nation (les frontières et la souveraineté des peuples). Schwab et Malleret constatent bien le rejet de la mondialisation par les électeurs et reconnaissent que c’est "une réponse rationnelle lorsque les inégalités sont élevées", quand "l’injustice du traitement préférentiel dont bénéficient exclusivement les riches est trop flagrante". Cela conduit à "la désintégration de la société, à l’effondrement politique, aux troubles sociaux", ce qui est regrettable. "Dans des conditions de stress, l'attrait de la cohésion et de l'unité augmente, ce qui nous amène à nous regrouper autour de notre clan ou de notre groupe, et à devenir généralement plus sociable en son sein, mais pas en dehors."

            Schwab et Malleret arriveront-ils à mettre de l’ordre dans notre "maison commune", à "rendre le monde moins clivant, moins polluant, moins destructeur, plus inclusif, plus équitable et plus juste que celui dans lequel nous vivions à l'ère pré-pandémique" ? On peut en douter et rester convaincus que les élites mondiales n’ont jamais accompagné les "grandes réinitialisations" dans l’histoire de l’humanité, par peur de perdre leurs "avantages acquis". Hollande nous affirmait que "la finance est notre ennemi", Macron nous a promis son soutien "quoiqu’il en coûte", Schwab et Malleret nous annoncent que "le Great Reset", c’est l’assurance d’une mondialisation heureuse... On ne peut décidément pas espérer que ceux qui ont produit la dramatique situation actuelle nous offrent aussi la solution ! 

1Covid-19, La Grande réinitialisation, Klaus Schwab et Thierry Malleret, traduction en PDF sur http://reparti.free.fr/schwab2020fr.pdf

2En 2017, deux ex-cadres de la BRI (Banque des Règlements Internationaux) soutiennent dans leur manifeste que la trajectoire actuelle des politiques dans les pays du G7 mène directement à une crise systémique. Ils montrent à quel point les cadres politiques sont irresponsables et en appellent à une véritable révolution, au plus haut niveau décisionnel.