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Les bienfaits de la culpabilité…

Je reçois des mails en provenance de Grèce, j’entends les analyses des journalistes sur la Crise, je vois mes contemporains se dissoudre dans la culpabilité, la morosité, la dépression. Et cela réveille en moi des envies de pousser un grand “coup de gueule”.

" …La bureaucratie, les gens qui sont insuffisants dans leur poste de travail, la mentalité du népotisme, c'est difficile, compliqué et long à changer. En plus, il faut maintenant "payer" pour la mauvaise gestion et les abus commis depuis des années…" (Enseignante du secondaire, Nord de la Grèce).

“ … Les Grecs n’ont pas de crise. Le problème, ce sont les politiques. Il faut tous qu’ils partent et qu’un Allemand ou un Français vienne pour leur apprendre à ne pas être corrompus…” (déclaration d’une Grecque interrogée par le correspondant RTL à Athènes)

“… Tout ceci illustre bien ce que pense une grande majorité de la population grecque… ” (Un Français vivant en Grèce depuis plusieurs décennies).

Ces propos sont l’illustration parfaite de l’intégration du discours politique dominant par les citoyens de base. Les Grecs ont repris à leur compte l’opinion de Schäuble, de Moscovici, de la Troïka en général. Les Grecs seraient des cigales, dépensières et préférant le Rébétiko au travail et attendant la manne des fourmis du Nord. Dès qu’ils ont un pouvoir politique, économique, professionnel, ils n’auraient qu’une idée, placer leurs familles et amis aux meilleurs postes sans tenir compte de leurs qualifications réelles. La fraude fiscale serait un sport national, du bas de l’échelle avec le travail au noir, au sommet de la pyramide économique avec les sociétés offshores et les placements à l’étranger. L’administration grecque serait incapable de gérer le pays, les politiques n’auraient d’autre vue que la pérennisation de leur carrière. Cette vision des choses est pourtant très contestable et l’on peut s’étonner qu’elle devienne aussi bien partagée.

D’où tient-on que cette situation est propre à la Grèce ? La France et l’Allemagne seraient-elles exemptes de népotisme, de fraude fiscale, de politiciens véreux, d’assistés professionnels ? Il est même remarquable que le procédé de la culpabilité est couramment utilisé dans notre hexagone. Le chômage n’est pas un problème structurel mais le résultat d’une perte de la “valeur travail” comme disait M. Sarkozy. Au mieux, les chômeurs seraient des gens mal formés et les patrons incapables d’embaucher à cause de la complexité des règlements et du coût des salariés, comme le dit M. Hollande. Pourquoi ne dit-on pas tout simplement, à droite comme à gauche, qu’il y a des chômeurs parce que l’on a tué le travail ? La simple décision de favoriser l’agriculture biologique de petite taille, de favoriser le petit commerce et non les grandes surfaces, de créer des bataillons de défricheurs dans nos forêts au lieu de brader l’ONF, suffirait à créer des centaines de milliers d’emplois immédiats et sans formation préalable. Il serait possible également de partager le travail restant, voire le remplacer par des "activités" en donnant accès à tous les biens qui nous sont nécessaires. Mais ce ne sont pas les politiques français qui sont montrés du doigt, ce sont les chômeurs qui sont culpabilisés ! Le mythe du Grec sirotant son ouzo pendant que l’Allemand travaille a la peau dure, alors qu’il est démenti par toutes les statistiques européennes, comme il est avéré que le chômeur français est généralement en souffrance et rarement un tricheur.

Les bienfaits de la culpabilité…

Quant à la corruption, il est facile de constater que l’Allemand Siemens n’a pas été une exception dans un océan de vertu allemande. Le géant français Total, en dépit de bénéfices records (4,2 milliards en 2014) ne paye pas encore l’impôt sur les sociétés en France ! Le ministre du budget Cahusac a osé jurer devant l’Assemblée qu’il était blanc comme neige après avoir placé des sommes considérables en Suisse et à Singapour. Le procès n’a pas encore eu lieu malgré les aveux du Ministre lui-même devant ses juges.

La fraude, le népotisme, le mensonge, la cupidité, ne sont pas des tares grecques. Je ne pense même pas qu’elles soient “le propre de l’homme”, mais bien plus certainement les fruits d’un système qui les permet et même les favorise, le résultat d’un pouvoir politique et financier excessif sans le contrôle populaire qui serait nécessaire. Et plus un pays est dans une situation de crise, plus les occasions de malversations sont nombreuses et aisées. Que les Français se rappellent la période de l’occupation allemande avec ses désordres et son gouvernement sous tutelle : le marché noir fleurissait, banquiers et industriels s’en donnaient à cœur joie (on peut lire à ce propos l’excellent ouvrage “Industriels et banquiers sous l’Occupation”, Annie Lacroix-Riz, Armand Colin, 650p.). La Grèce est un pays jeune et son entière indépendance a été suivie d’une succession de guerres, de coups d’État militaires, de crises diverses. Nier cette histoire chaotique au profit d’une antiquité mythique est aussi stupide que d’oublier la lente construction historique de l’obsession allemande pour la stabilité monétaire, pour la rigueur budgétaire, pour un euro fort. Mais l’Histoire n’est pas la science la mieux partagée et l’on oublie que l’Allemagne s’est trouvée un jour asphyxiée par une dette insoutenable et qu’elle a été sauvée par la conférence de Londres (1946). Il est plus commode de s’extasier sur le “miracle allemand”. De même au sujet de l’Afrique, où la plupart des Républiques sont qualifiées de “bananières”, on préfère oublier qu’avant la colonisation existaient des royaumes puissants, des cultures tout aussi intelligentes que les nôtres, une élite qui fut réduite à l’état de suppléants dociles. On oublie les siècles qu’il nous a fallu pour instituer des États de droit, pour pacifier les querelles religieuses, et l’on exige des Africains de tout résoudre en quelques décennies !

Peut-être qu’un jour les historiens réécriront une Histoire mondiale et montreront que l’individualisme du néolibéralisme a abouti à individualiser les responsabilités, dans l’émergence de grandes fortunes autant que dans les misères du petit peuple, et en plus, à faire intégrer par chacun de nous les catastrophes que nous subissons. Le chômeur est paresseux; le Grec est corrompu; le malade a bien supporté la pollution mais meurt de son tabagisme; le djihadiste est mauvais par nature et non le résultat de la recherche effrénée de profits des grands pays européens au Levant; les politiques sont des traitres à la cause qu’ils défendent; la planète se réchauffe parce que Je consomme trop... La culpabilité de tous est propre à cacher les responsabilités réelles et, in fine, à nous enfumer quant aux solutions possibles face aux impasses sociales, économiques, politiques !

Tag(s) : #Coup de gueule